Vlady : Grand peintre mexicain

Le Monde du 27.07.05

 

 

 
LE PEINTRE Vlady est mort dans son atelier de Cuernavaca (Mexique), vendredi 22 juillet, à l'âge de 85 ans. Fils de l'écrivain Victor Serge et des révolutions du siècle passé, Vladimir Kibaltchich - son vrai nom - est considéré comme un des plus grands artistes mexicains de l'après-guerre. Sa vie et son oeuvre attestent d'une conscience toujours dissidente, à l'image de celle de son père.
Pendant sa jeunesse, Vlady est un témoin de première ligne des tragédies politiques de l'entre-deux-guerres aussi bien que des espérances du communisme et des avant-gardes. Né en 1920 à Saint-Pétersbourg dans une famille d'anarchistes convertis provisoirement au bolchevisme, Vlady traverse une partie de l'Europe centrale avec son père, alors compagnon de Lénine et directeur de la propagande dans ces pays. De 1933 à 1936, il est déporté et fait l'expérience du goulag parce que son père est passé depuis 1927 à l'opposition de gauche.

A partir de 1937, réfugié en France à la suite d'une campagne internationale en faveur de Victor Serge, Vlady fréquente plusieurs peintres du mouvement surréaliste, dont Brauner, Lam et Masson. La signature du pacte germano-soviétique et la défaite française le contraignent à un nouvel exil.

Après une année passée à Marseille en compagnie d'autres persécutés potentiels, dont Breton, avec qui ils partagent l'attente du départ, Vlady et son père embarquent en juin 1941 sur le même bateau que ce dernier et Claude Lévi-Strauss. Ils se réfugient au Mexique, où Serge poursuit, jusqu'à sa mort, en 1947, sa critique du régime stalinien, sa révision fidèle du marxisme, ainsi qu'une écriture littéraire de plus en plus marquée par le réalisme magique. Vlady a toute sa vie contribué à la diffusion de cette oeuvre et a vécu à la hauteur des exigences qu'elle posait.

Après avoir fréquenté les grands muralistes mexicains, il prend la tête, dans les années 1950, d'une nouvelle génération d'artistes en développant une critique esthétique et politique de ses aînés, à qui il reproche l'engagement stalinien et le réalisme socialiste. Influencé par la peinture surréaliste, à laquelle il donne des tonalités sombres et un grand ancrage historique, Vlady se tourne aussi vers l'abstraction américaine, notamment Rothko, qu'il rencontre à la fin des années 1960. Son chef-d'oeuvre principal restera la fresque de plus de 2 000 mètres carrés qu'il réalise à Mexico entre 1973 et 1982 à la bibliothèque Miguel Lerdo de Tejada. Il y résume l'histoire des révolutions à laquelle se mêle une méditation allégorique sur le désir.

Dans les années 1970 et 1980, Vlady soutient les révoltes d'Amérique latine, notamment à Cuba et au Nicaragua. Il contribue au mouvement zapatiste et consacre un grand tableau à Samuel Ruiz, l'ancien évêque « rouge » de San Cristobal. Créateur de pièces monumentales, érudit sur les techniques de la Renaissance vénitienne, Vlady est aussi reconnu pour la qualité de ses gravures et de ses dessins érotiques. Il laisse plusieurs milliers de pièces, la plupart données à l'Etat mexicain. Une rétrospective est annoncée au Palacio de Bellas Artes de Mexico en avril 2006. Les restes du peintre ont été incinérés à Cuernavaca le lendemain de son décès.

*Jeudi 21 juillet à Cuernavaca

Laurent Jeanpierre


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